Carla Pellandra

Formation et vie professionnelle

Mon parcours formatif a été compliqué à cause de la guerre qui a durement frappé ma famille: les études ont été tôt abandonnées pour un travail qui n’a pourtant jamais interrompu mes rapports avec les livres. A 18 ans j’ai passé les examens pour devenir institutrice; après quelques courtes expériences d’enseignement dans les écoles primaires, un assez bon emploi à la RAI (Radio Télévision Italienne) me permit d’entreprendre des études universitaires de langues modernes: études très matinales, le plus clair de mon temps étant dévoré par mon travail. Le choix du français, comme langue de spécialisation, a été obligé: c’était à l’époque le seul enseignement linguistique pour lequel on ne demandait pas de séjour à l’étranger, mais ce mariage de raison s’est bientôt transformé en mariage d’amour. J’ai achevé mes études, essentiellement littéraires, comme de tradition, avec un mémoire (notre tesi) sur Madame de Staël et l’Italie, un sujet – le regard des “autres” sur mon pays – qui m’initia à l’étude de ces périlleuses relations italo-françaises qui me passionnent toujours.

J’ai quitté la RAI et, au rythme des concours, je suis passée par l’école secondaire du premier cycle, puis du second cycle pour aborder en 1969 à l’université. Tout en gardant, au début de mon enseignement, des cours de littérature du XVIe et du XVIIe siècles, je me suis de plus en plus consacrée à l’enseignement de la langue, surtout à partir de 1976 quand j’ai commencé à enseigner la langue et la culture françaises aux étudiants en sciences de l’éducation, un enseignement que j’ai gardé jusqu’en 1999, année de mon départ à la retraite. Une retraite jusqu’ici encore active parce que j’ai pu garder un “module” d’enseignement pour les élèves de notre école de spécialisation pour la formation des enseignants de français, une formation didactique dont l’université italienne s’est chargée depuis quelques années, mais au projet de laquelle j’avais très longtemps travaillé.

Activité scientifique

Mon activité scientifique a d’abord concerné, sous l’impulsion de notre maître Corrado Rosso, l’histoire des idées et des mentalités: d’où des travaux sur l’idée de compensation chez les moralistes du XVIIe siècle, sur la polémique anti-philosophique au XVIIIe siècle, sur l’ éducation et la condition de la femme aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des études bien négligées, non sans quelque regret, après la création de la SIHFLES

J’ai déjà eu l’occasion de raconter ma rencontre avec la SIHFLES dans une Lettre de 1994 dont je reprends ici l’essentiel. J’ai commencé mes recherches sur l’enseignement du français en Italie en 1985: le domaine était presque totalement vierge; les quelques universitaire qui avaient lancé quelques coups de sonde, Henri Bédarida, Paul Hazard, Andrea Dardi, invitaient tous à explorer cette terra incognita qu’était à l’époque l’histoire de la diffusion et de l’enseignement du français en Italie. Je suis partie en pèlerinage dans les bibliothèques émiliennes à la chasse des outils qui avaient servi pour l’enseignement du français (manuels, dictionnaires, dialogues…) et j’ai été submergée sous une avalanche de textes. J’ai tout de suite intéressé à mes recherches quelques amis de mon Département de langues modernes, des francisants comme Nadia Minerva, mais aussi un hispanisant, un germaniste, et nous avons décidé d’organiser un petit séminaire avec des réunions hebdomadaires pour nous informer et nous former à une tâche qui demandait des connaissances dans beaucoup de domaines: histoire des congrégations religieuses enseignantes, histoire des institutions éducatives, histoire de l’école et de l’université, histoire de la réflexion linguistique, des méthodologies….. De ces réunions est né Grammatiche, grammatici e grammatisti qui a paru en 1989. En 1986, lors de l’un des nombreux colloques organisés pour célébrer le bicentenaire de la Révolution française, j’avais présenté la “purification révolutionnaire” subie par une grammaire française d’Ancien Régime; en 1987, au VII Congrès des Lumières à Budapest, j’avais parlé de l’enseignement du français en Emilie au XVIIIe siècle. En décembre de la même année, en accueillant l’invitation lancée par André Reboullet dans Le Français dans le Monde, j’ai participé à la création de la SIHFLES. Inaugurant une tradition encore bien vivante aujourd’hui, la séance a commencé avec trois conférences confiées à Elisabet Hammar, à Herbert Christ et à moi-même. L’après midi, la SIHFLES était née.

Notre société a donné un remarquable élan à mes recherches: le groupe des francisants a commencé à s’élargir grâce à des collègues de Parme, de Florence, de Naples, de Palerme, toutes lancées à la chasse de vieux manuels cachés dans les bibliothèques italiennes.

L’histoire de la diffusion et de l’enseignement du français en Italie a commencé à se dessiner lors des douze colloques internationaux de notre Société (le premier a été organisé à Parme avec l’aide de Carminella Biondi et d’Anna Mandich), au fil des nombreuses journées d’étude où nos recherches pouvaient se confronter, se voir valorisées et encouragées.

Désormais, presque toute mon activité scientifique est consacrée à l’histoire de l’enseignement du français en Italie et ailleurs. Les travaux de synthèse que j’ai faits récemment pour un numéro spécial du Français dans le monde et pour le dernier colloque de Palerme, m’ont offert l’occasion et le plaisir d’établir aussi un bilan de l’ activité féconde de notre SIHFLES.

Mes publications sihflésiennes

Avec Nadia Minerva, nous avons publié deux éditions d’un Répertoire analytique des manuels pour l’enseignement du français publiés en Italie de 1625 à 1860, né du travail d’une quarantaine de collaborateurs.

C’est surtout l’analyse du corpus imposant de ces outils pour l’enseignement du français qui a nourri mes recherches concernant:

  • l’enseignement du français: de l’art d’agrément à la disciplinarisation;
  • l’histoire d’un métier: les professeurs de français d’autrefois: la formation des enseignants de français; la création des chaires de langue et de littérature françaises dans l’université italienne; la grammaire des dames; l’enseignement du français aux jeunes filles; la méthode directe en Italie; les contenus culturels; le dialogue théâtral en classe de français; sentences et aphorismes dans les classes de langue d’autrefois; la diffusion et l’enseignement du français dans le monde: 1780-1880;
  • la diffusion et l’enseignement du français dans le bassin de la Méditerranée . 1880-1914

Juste avant de partir à la retraite, avec un groupe de collègues, nous avons créé un centre qui pour l’instant réunit dix universités italiennes, de Turin à Palerme, pour étudier l’histoire des enseignements linguistiques: enseignement des langues classiques, nationales, modernes… Nous sommes revenus à nos lointains débuts où la mise en commun de recherches touchant des domaines linguistiques différents avait ouvert des horizons insoupçonnés…

Du point de vue personnel, un prétexte pour repartir au travail.